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"La Survivance" Genèse d’un roman

vendredi 8 juin 2012, par Claudie Hunzinger

Claudie Hunzinger vit en montagne. C’est son unique nationalité. Elle est artiste et écrivain. Elle a fabriqué des livres en foin, écrit des pages d’herbe, édifié des bibliothèques en cendre et publié cinq livres.

Sur fond d’accidents nucléaires et de crise mondiale, un couple de libraires, 60 ans, en faillite, n’a plus comme issue que de s’exiler dans une maison en ruine, La Survivance, située à 900 m dans les Vosges.

Ils vont lutter au milieu des intempéries dans la double proximité des animaux (leur ânesse Avanie, un clan de cerfs), et des écrivains qu’ils ont emportés. On croise Roberto Bolano, Lewis Carol, Kafka, et encore Aby Warburg, et le peintre Grünewald qui vécut dans le coin à la Renaissance.
On peut dire qu’il s’agit, sur le mode inquiet, désolé, d’un livre sur la perte. Celle de la jeunesse, celle de son métier, celle des utopies, celle d’une civilisation de l’écrit, celle d’une planète usée à mort. Il y est beaucoup question de livres exilés et des miettes d’un héritage. Et d’anges de La Mélancolie.

Mais pas seulement. Il y est davantage question de désir et d’énergie. De sensations et de passions. De lectures et de découvertes. Et de neige. Et d’élan vital. Ce n’est pas une histoire sombre. Mais une histoire pleine d’ardeur dans une période sombre qui donne envie de se battre et de vivre.

J’ai encore une fois voulu, avec La Survivance, parler du pouvoir des livres dans notre vie. Aujourd’hui. En pleine crise. Quand il ne s’agit plus que de se battre pour vivre, que peuvent encore les livres ? Où est leur puissance ? J’ai aussi voulu interroger la menace qui pèse sur l’édition avec l’arrivée du numérique. Le « bannissement » d’un couple de libraires, vendeurs de livres d’occasion, forcés de s’exiler dans une ruine, en est la métaphore.

C’est amusant à dire, mais l’an dernier, quand je suis allée à la rencontre de mes lecteurs, j’ai été plongée dans un bain de libraires. Je n’en avais jamais rencontré autant. Les trois filles du roman, « chacune leur vie et une seule passion, les livres », je les ai vraiment croisées, elles et leur vitrine. Et l’idée d’un couple parti dans les années 70 expérimenter une autre vie m’est venue de ma rencontre, au Salon du Livre, avec la libraire d’Artcurial qui était vraiment partie avec son compagnon avant de revenir à Paris.

Mes deux libraires, j’ai voulu qu’ils vivent au milieu des écrivains. Qu’ils respirent la littérature avec le vent, tout en se battant pour survivre. Et qu’ils vivent également au plus près des bêtes, leurs sorts liés dans une identité partagée, un commun destin menacé. D’ailleurs Avanie est le personnage central. Elle devine qu’on va vers la fin d’un monde. Elle devine ce que contient la fin du livre. Elle devine tout. Et puis il y a tous les animaux sauvages. Les cerfs surtout. Je me suis documentée. Je les ai observés. Je vis moi-même dans leur proximité.

Pour la vie elle-même, à la dure, il m’a suffi de me rappeler nos débuts. J’ai adoré nos années de pionniers, en 70. C’était de l’énergie pure, irradiée de poésie et « d’immaturité ». On a vraiment vécu une aventure magnifique comme peut l’être une vie sans confort, à la fois d’action et de rêve, une vie de défricheurs. J’en ai gardé des mains énormes aux poignets de bûcheron, et un faible pour les intempéries. J’ai donc aimé inventer cette histoire, même si Francis et moi, nous n’avons pas quitté la montagne, depuis notre installation, à 24 ans. Même si nous y avons tenu, et même si depuis nous nous sommes enveloppés d’une sorte de luxe. Et c’est peut-être à cause de cela, parce que nous avons tenu là-haut, que j’ai aimé imaginer ce que pourrait être notre vie si elle était brusquement replongée dans l’inconfort, la lutte, la bataille, la peur, et ceci non pas à 20 ans, mais à 60 ans. J’ai donc imaginé cela, avec un plaisir fou, comme si la vie forte, la vraie vie, la vie sculptée par le désir, était là : dans le corps à corps avec les sensations et la réalité tout en étant nourrie par le rêve et la lecture. Ce qu’elle est d’ailleurs encore pour moi.

Photographie © Jerôme Bonnet