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La survivance sur Médiapart

mardi 6 novembre 2012, par webmestre

La survivance roman de Claudie Hunzinger (Grasset)
31 octobre 2012 Par Colette Lallement-Duchoze

http://blogs.mediapart.fr/blog/colette-lallement-duchoze/311012/la-survivance-roman-de-claudie-hunzinger-grasset

Le roman s’ouvre et se clôt sur l’incroyable faculté intuitive de l’ânesse Avanie "ses longues oreilles captaient au loin les présages" (c’est l’incipit) ; "elle avait les longues oreilles de qui perd gagne" (c’est l’explicit) ; entre ces deux moments une année s’est écoulée ; depuis le déménagement forcé de la librairie, l’installation et la "survie" dans cette maison isolée sur la montagne vosgienne. Outre l’histoire -assez "originale" du couple sexagénaire devenu "ermite"-, c’est une philosophie de la vie et de l’existence qui affleure, délicate et sensuelle, à chaque page de ce roman, celle d’un savoir-être, ici et maintenant !

La Survivance c’est d’abord le nom de cette maison sise sur le mont Brézouard que le jeune couple étudiant avait achetée et qui, des décennies plus tard, devient leur "havre", après la "faillite" de leur librairie-des vignes.... Dès lors va débuter la "phase Trois" de leur vie commune. Mais à soixante ans, il leur faut affronter les forces vives de la nature, belle certes mais impitoyable. Lutter contre le froid, les orages, le vent, les animaux dévastateurs. Mentionnés sous forme de prétérition (je ne parle pas de..) ou de catalogue/inventaire (il y avait), ces obstacles ("bombardement de réalité") les obligent à "tenir" et "gagner dans les choses menues mais innombrables" ce qui a été perdu "en grand". Animaux de trait devenus, liés "sous le même joug", ils livrent "une bataille" sans merci et du même coup ils sont "plus bienveillants l’un envers l’autre ; plus confiants ; plus tendres". Des indices temporels précis (jours, mois, moments de la journée) signalent la progression dans les aménagements (même si la vie au quotidien est assez rudimentaire...) et ponctuent les éclosions dans le potager !

Une voix intérieure fredonne "tu es bien comme ça sans sexe et sans Schweppes"

La survivance c’est aussi comme l’écrit la narratrice Jenny, reprenant la définition de Warburg "ce qui survit dans les images après toutes leurs métamorphoses ; la capacité des images à revenir nous hanter". Et de fait le roman "la survivance" est traversé, grâce à des effets spéculaires, par tout un jeu de connotations et de correspondances. Les antinomies apparentes se résolvent, et se confondent dans la délicatesse de l’écriture : nature et culture, réalité et littérature, présent et passé, vécu et rêve, Vie et Mort.

Le roman semble obéir à un ordre binaire (à l’instar du "couple" de cerfs et de leur relation dyadique). Voici le récit -emploi de l’imparfait- scandé par la reprise "je me souviens" et en miroir un autre texte, au présent, sorte de métalangage ou du moins récit dans le récit. Voici Sils et Jenny qui à force de vivre ensemble se sont comme "enchevêtrés" ; lui le dévoreur de livres qui sera dévoré par eux ; elle l’éthologue et sa connivence avec son ânesse et sa chienne, mais aussi avec les cerfs ; éprise de littérature elle sait établir des "liens" ou repérer des "coïncidences" entre les "écrits" et le vécu du monde animal. Voici des pans du passé confrontés au présent : la maison autrefois "goélette" est aujourd’hui une "coque crevée" ; ("nous étions alors neufs" ; "nourrir la mélancolie du présent avec la dinguerie d’autrefois" -à propos d’Utopie et d’Avanie les deux ânesses). Mais voici surtout le fameux Retable de Grünewald détruit par un incendie (imaginaire) ; or ce Maître avait lui-même fréquenté les lieux où est installé le couple, à la recherche de "couleurs" (obtenues après transformations de minerais). Le peintre avait utilisé la mort - minéraux toxiques- "pour peindre la mort et il l’a retournée en lumière"...Vie et Mort, Ombre et Lumière ! Sur les "traces" de l’alchimiste, Sils au terme de sa quête (à la fois recherche de cailloux, de leurs poussières de couleurs et quête intérieure) aura fait retentir l’alchimie du Maître et le théâtre d’Artaud dans le Concert des Anges...

"Maître des sons et des couleurs dans sa forêt à demi humaniste, à demi sauvage"

Ainsi tout un réseau d’analogies parcourt le roman. C’est Aby Warburg, le "dialecticien des haillons" qui fut "sensible à la façon dont des thèmes morts depuis longtemps ressurgissent dans un autre continent une autre époque se modifiant revenant sans cesse" Un carré de faïence hollandais d’un bleu irréel représentant un oiseau dans les feuillages "semblait être un fragment rescapé de l’Eden" ; l’ange-oiseau du Retable, semble le portrait craché de Sils" ; "les barrières en perches de sapin sont aussi belles "que celles du ranch dans Cold Mountain".et toutes ces figures de la Mélancolie !(Cranach, Dürer). On pourrait multiplier les exemples... Quand Claudie Hunzinger cite des auteurs, des œuvres, voire des extraits, c’est avec l’élégance de la connivence, c’est-à-dire sans pédanterie, sans afféterie, de façon quasi naturelle comme si tout était intimement lié ; et il en va de même pour l’orchestration des couleurs, leurs dégradés, leurs luminosités, comme si la Nature en ses fragments ou sa globalité et sa représentation/transcription se substituaient l’une à l’autre (avec parfois des agrandissements à l’échelle du cosmos)

Au quotidien et à l’heure du bilan (la maladie de Sils est évoquée avec retenue, pudeur) c’est "l’immense pouvoir des livres" qui est célébré.

L’infirmier rencontré deux fois telle une figure tutélaire, joue le rôle de passeur. N’est-il pas "sensible à la fois au destin des vieux (= ses malades à l’hôpital) et au silence des bêtes ? Sensible à la pourriture qui nous traque et à la perfection traquée. À la volonté de vivre de tout ce qui est vivant et à la vie par définition condamnée". C’est du moins ce que perçoit Jenny dans ce café du col dont "l’intérieur est devenu orange alors que la montagne s’est mise à baigner dans du bleu de plus en plus foncé"...