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"Elles vivaient d’espoir" dans Lire de septembre 2010

mercredi 1er septembre 2010, par webmestre

Une merveille d’écriture. C’est peut-être le premier roman de Claudie Hunzinger, mais on comprend dès les premières pages qu’on est dans une sublime poésie tragique. A partir des carnets que sa mère, Emma, a noircis durant toute sa vie, l’auteur nous raconte une histoire d’amour audacieuse entre deux femmes, Emma et Thérèse, dans la période de l’entre-deux-guerres. Un amour sans concession aussi pour la liberté. Emma la grande, la solaire, la terrienne, défendra sans cesse sa liberté d’aimer, hommes et femmes, nature et littérature. Thérèse la brune, la petite, la timide, gardera en elle la fougue et la persévérance. La Seconde Guerre mondiale va balayer cet amour et changer les femmes. Elle révélera ce qu’elles ont toujours été sans le savoir. Claudie Hunzinger nous livre une belle tragédie antique où l’on évoque souvent Antigone à juste titre.

Maral, Virgin Megastore Barbès/Paris Armande et Delphine, Virgin Megastore Champs-Elysées/Paris

"Le projet littéraire d’Elles vivaient d’espoir a surgi d’un film tourné par le fils de Claudie Hunzinger, Robin, en 2005. Réalisateur de documentaires, Robin travaille sur des photos d’archives, les rassemble et les modifie techniquement. Auparavant, tous deux se sont plongés dans les quatre cahiers laissés par Emma, leur mère et grand-mère, et dans ses lettres écrites à son amie Thérèse. Se révèle une belle expérience amoureuse et humaine entre ces deux femmes, au cœur des années 1930, avec, pour décor, l’histoire politique et sociale, la lutte pour l’émancipation féminine mais aussi l’ombre de la guerre. Claudie Hunzinger écrit la voix off du documentaire, qui obtient de nombreux prix dans des festivals. Mais la nécessité d’en faire un roman s’impose à elle pour compléter l’aventure poétique de ces héroïnes. « Toutes les images étaient du côté de la mort », explique-t-elle. Or les relations de ces deux femmes sont trop liées à la vie pour qu’elles s’achèvent dans ces ombres portées, ces photos un peu floues qui ressemblent à des fantômes. Et puisque leur vie est un roman, Claudie Hunzinger décide d’aller vers la fiction tout en gardant - autant que possible -la voix d’Emma et de ses carnets, vert amande, rouge, vert vif et gris. Portée par ces textes qui couvrent de nombreuses années, Claudie Hunzinger n’a pas la tâche facile pour unir dans une seule écriture les mots de l’une et de l’autre. « J’ai mis cinq ans à l’écrire et je me suis parfois sentie découragée. »

Au début, reconnaît-elle, le respect vis-à-vis d’Emma l’empêche de se libérer, de supprimer, d’éliminer pour dégager l’essentiel. Elle écrit tout au présent, puis au passé composé, et finit par mêler les temps et se glisser elle-même dans la narration. Puis, peu à peu, les fragments s’unifient, les voix se mélangent, le ton est donné. Voici Emma et Thérèse, deux jeunes filles qui n’ont peur de rien. Emma, née en 1906, fille et petite-fille d’instituteurs de village en Côte-d’Or, va faire l’Ecole normale. Thérèse, née en 1908, fille d’instituteurs elle aussi, habite Epernay mais c’est à Nancy qu’elle fait la connaissance d’Emma. Emma est une littéraire, Thérèse une scientifique, toutes deux rêvent de devenir professeurs. Emma est la sensualité même, elle veut « goûter le charme de tout ». Thérèse est plus secrète, plus énigmatique et sauvage aussi. Le travail les sépare, les vacances leur permettent de se retrouver. Elles veulent vivre ensemble, avoir un enfant en choisissant un géniteur, Emma a aussi des amants qu’elle aime un peu et désire beaucoup. « L’amour a été la trop grande affaire de sa vie », résume sa fille. Mais la liberté ne se discute pas, Emma n’est pas une Bovary, elle veut mordre l’existence : « Comme on peut avoir par moments des envies de marcher, de courir, de nager, j’ai une en-vie obscure d’aimer. Notre tort est de regarder toujours la vie sous un angle tragique. Je veux être simple et solide. Cette aventure est une expérience et une émancipation », écrit-elle à Thérèse. Mais un homme et la guerre vont séparer les amoureuses.

« Ce qui m’a étonnée, reprend Claudie Hunzinger, c’est la modernité de leurs désirs : leur revendication de la liberté, l’homosexualité, l’importance des corps, l’immersion dans la nature, les phalanstères, l’engagement politique ... Ces deux femmes ont été des pionnières. » Cependant, pour avancer dans son roman, Claudie Hunzinger doit en savoir plus sur Thérèse. Pendant le tournage du film, elle rencontre une survivante qui l’a bien connue puisqu’elle fut son agent de liaison pendant la Résistance. Responsable d’un réseau communiste en Bretagne, Thérèse, celle qui semblait tellement réservée, en retrait, est une femme très engagée. Elle est arrêtée par la Gestapo, torturée quatre jours avant de mourir, sans avoir parlé et sans laisser de traces pour ne condamner personne. Devenue une héroïne, Thérèse meurt dans le silence. Parallèlement, Emma apprend à se taire, à vivre avec son mari en Alsace, trop près des Allemands. Elle n’approuve pas ses choix, sa violence, mais elle reste à ses côtés jusqu’au bout.

En rédigeant Elles vivaient d’espoir, Claudie Hunzinger a voulu offrir un tombeau à deux personnalités exceptionnelles. « Ce livre n’est pas le premier roman d’une femme de soixante-dix ans mais le texte d’une plasticienne qui s’est toujours interrogée sur l’écrit », précise l’auteur. Comme sa mère, Claudie a vécu par et pour les livres mais son chemin a été différent. C’est d’abord la poésie qui l’attire. Dès son premier recueil, elle illustre ses poèmes avec des peintures. Enseignante au lycée, elle quitte tout pour s’installer avec Francis Hunzinger dans une ferme des Vosges au début des années 1970. Cette nouvelle existence n’est pas une simple utopie : aujourd’hui encore, Claudie et Francis vivent au milieu des forêts vosgiennes. Après avoir écrit un récit sur cette expérience d’ermite, Bambois, la vie verte, Claudie Hunzinger se dirige de plus en plus vers le livre d’artiste : la série des Bibliothèques en cendres ou, plus récemment, celle des Pages d’herbe. Elle a en tête une « linguistique de la nature » qu’elle met en pratique. « Je marche sur deux jambes différentes », explique-t-elle. Mais la littérature est au cœur de sa vie comme elle fut essentielle à sa mère : « J’ai été élevée par une bibliothèque », dit-elle en citant Jules Renard. C’est cette double dimension, cette force créatrice, qui a également séduit son éditrice chez Grasset, Martine Boutang : « TI y a une très grande poésie dans son roman, un amour de la nature, de la littérature, un respect d’autrui, un engagement politique et une énergie radieuse. » Un film, un livre ; Claudie Hunzinger a réussi ce qu’elle voulait entreprendre : « Une protestation d’amour contre l’oubli », comme l’écrivait Roland Barthes en parlant de la conception de l’Histoire pour Michelet. « J’ai voulu sauver leurs vies, les rendre à la littérature. » La mission est accomplie au-delà même de ses espérances.

Christine Ferniot

"Elles vivaient d’espoir" dans lire de septembre 2010