site de Claudie HUNZINGER, artiste plasticienne et romancière.

Accueil > Romans et livres d’artiste > 2010 : Elles vivaient d’espoir, Grasset > "Elles vivaient d’espoir" dans Les Echos du 6 septembre 2010

"Elles vivaient d’espoir" dans Les Echos du 6 septembre 2010

lundi 6 septembre 2010, par webmestre

Destins croisés

Grasset, 246 pages, 19 euros.

Elles ont vingt ans. Jeunes femmes libérées, enthousiastes, iconoclastes, Emma et Thérèse se sont rencontrées à Nancy, au milieu des années 1920, dans une école de préparation au concours d’entrée à l’Ecole de normale supérieure de Fontenay, la « voie des pauvres » réservée aux villageoises. La première est une littéraire, la seconde une scientifique. Elles s’aiment. « L’une émettait de la lumière ; l’autre la contenait », écrit, bien des années plus tard, la fille d’Emma, Claudie Hunzinger, qui a retrouvé ce secret bien enfoui dans quatre cahiers de toile, vert amande, rouge, vert vif et gris argent. Artiste plasticienne, peintre et poète vivant en Alsace, elle signe ici, à soixante-dix ans, un premier roman d’une finesse, d’une sensibilité et d’une émotion qui rendent justice au destin exceptionnel de ces deux femmes.
Trahisons momentanées

Car ces deux vies qui auraient pu n’en faire qu’une vont prendre finalement des directions irrémédiablement opposées. A la rentrée scolaire 1933, Emma est institutrice à Mende ; elle a un amant clandestin, marié et père de famille, qui la comble. Et pourtant, elle va proposer à Thérèse de la rejoindre et d’accepter qu’elle ait un amant. Elle s’explique : « Ce que je cherche, c’est ma propre force. Ma force en face de lui et en face de la société. Tu admires l’émancipation de la femme russe sans te rendre compte que la première émancipation est celle qui nous libère de l’amour et de son fantôme. Que la première conquête est celle de notre corps. Arriveras-tu à prendre cette histoire plus simplement ? J’ai un amant parce que je me porte terriblement bien. Je ne suis coupable, Thérèse, que de trahisons momentanées. » A cela, Thérèse répond : « Venir te rejoindre en marge de ta vie ? ». Retour d’Emma : « Oui, mais la marge prend tout. » Thérèse accepte.
Pourtant, dix-huit mois plus tard, Emma tombe amoureuse d’un Alsacien, Marcel, à la fois professeur, comme elle, et industriel. Ils se marient, ont plusieurs enfants. Entente sexuelle parfaite. Mais l’homme avec l’âge se révèle colérique et brutal. Il s’inscrit au parti nazi, ses affaires prospèrent. Dans les dernières pages du cahier gris argent, celle qui avait « choisi d’avoir infiniment tort », analyse, en 1945 : « C’est par la dévastation de moi-même que je me suis finalement construite. »
Thérèse, à l’inverse, s’engage dans la Résistance, en Bretagne. Elle mourra sous la torture dans les caves de la Gestapo, le 26 octobre 1943. Dans leur correspondance datant de l’Ecole normale, Thérèse écrivait : « Je ne veux pas m’intéresser au présent. Ce serait une négation de la vie que je rêve. » A quoi Emma répondait : « Petite compliquée qui cherche sa vérité dans le refus ! Moi, je me promène. »
Au risque de s’égarer.

THIERRY GANDILLOT, Les Echos

Lire en ligne : http://www.lesechos.fr/info/loisirs/020751887577-destins-croises.htm