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"Elles vivaient d’espoir" dans le canard enchaîné du 8 septembre 2010

vendredi 10 septembre 2010, par webmestre

Femmes entre elles ...

Elles vivaient d’espoir
de Claudie Hunzinger
(Grasset)

Un tel roman, dans cette rentrée tumultueuse et bariolée, est comme un moment où les causes essentielles prennent calmement leur place : telles des évidences, elles sont la preuve que l’écriture reste la force la plus inaltérable pour dire, pour raconter des sentiments, des événements hors du commun.

Claudie Hunzinger, née en 1940 en Alsace, se souvient de sa mère, Emma, dont elle a retrouvé de nombreux carnets, de très nombreuses lettres. A partir de ce matériau, elle reconstitue, avec beaucoup de force et de pudeur, l’itinéraire d’une femme qui, dans les années 30, fait figure d’annonciatrice des temps nouveaux. Institutrice, Emma parcourt la France de l’intérieur : Mende, Nevers, etc. Elle marche beaucoup, découvre des paysages somptueux. Surtout, elle a rencontré Thérèse, brune comme elle est blonde : c’est tout de suite la passion. Elles parlent d’« affections physiques », de « corps retrouvés ». C’est la grande liberté. Elle aime aussi Karl, un Allemand (communiste), ils font des promenades avec Thérèse, plus discrète, plus réservée. Il y aura des heurts, des interrogations. De la joie : « Ascension de quatre heures avec un guide. Vent sauvage. Jambon cru. Figues fraîches. Je suis, écrira Emma, en possession de moi comme jamais. »

Avant Thérèse, Emma avait connu Marcelle, qui l’avait initiée aux joies les plus fortes. De toute façon, dès qu’Emma se retrouve seule, « il est certain que mon corps s’ennuie. Je le sens fondre d’ennui ». Mais à Thérèse, elle écrira un jour : « Je te sens triste, inquiète. Ne t’en fais pas. Il m’importe peu de savoir si dans quelques semaines un homme dormira à mes côtés. L’amour lui, le nôtre, n’est pas un événement, c’est un chant continu. Thérèse si discrète que je suis bruyante, si légère que je suis pesante, .toi qui enfouis ton mystère au fond de toi. Je t’aime. »

Il y aura, pour Emma, François, un bourgeois installé, marié, deux enfants ... et surtout « propriétaire » ! Ce sera lourd, mais il lui apporte la jouissance, sur les pentes escarpées des montagnes. Edith, encore, mais elle s’éloignera. Engagée dans les temps nouveaux : Front populaire, guerre d’Espagne, Hitler au pouvoir ... Elle disparaîtra jusqu’au jour où, en Bretagne, elle sera arrêtée, torturée et retrouvée pendue aux barreaux de sa prison, le 26 octobre 1943.

Pour Emma, il s’agira d’une tout autre histoire. Un roman, un vrai, avec un entrepreneur alsacien. Elle se marie. Il est encore français. Après l’annexion de l’Allemagne, il revient allemand. Emma reste. Par amour. Par devoir. Par le cynisme de la jouissance aussi. Années d’enfer. Sa fille, la narratrice, découvrira sur une photo l’insigne nazi au revers de la veste de son père ...
« On dit que le temps ne bouge pas, écrit Claudie Hunzinger, c’est nous qui passons, le temps, lui, reste. Il se passe de nous. »

Il serait dommage de se passer d’un tel livre.

André Rollin