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Elles vivaient d’espoir : Extrait 2

jeudi 8 juillet 2010, par Claudie Hunzinger

- Elle avait l’air de se promener, et en même temps, inlassable, elle se rendait partout. S’enquérir du travail fait, de celui qui restait à faire, encourager ici, inciter à la prudence là, profitant de la légalité que lui donnait son métier de professeur. Elle était très discrète. Un jour qu’elle venait apporter de fausses cartes d’identité que papa devait distribuer en forêt, elle entendit que sous la charmille il y avait une réunion de famille. Alors elle déposa furtivement les cartes là où elle savait que papa les retrouverait et s’en alla tout aussi furtivement. Elle tenait en main l’organisation des femmes, des hommes, du Front National et prenait part à l’organisation des FTPF dans la région. Un témoin avait dit avoir toujours été étonné que d’une apparence physique aussi fragile elle ait pu déployer tant d’énergie, posséder un tel don du commandement et de l’organisation. Elle parcourait à vélo toute l’Ille-et-Vilaine, jusqu’à Saint-Malo. Elle subjuguait ceux qui l’approchaient. Elle était très délicate et ne froissait jamais ceux qui ne partageaient pas ses idées. Mais elle pouvait faire preuve d’autorité lorsque les circonstances l’exigeaient. Elle aurait été jusqu’à faire tuer ou à tuer elle-même un faux parachutiste qui lui semblait mettre en péril la vie des membres du réseau. Elle n’admettait aucune négligence, aucune imprudence, aucun retard. Sous des dehors modestes, elle cachait un tempérament et des aptitudes de chef, jugeant rapidement et les gens et les circonstances, capable de prendre des décisions immédiates, fussent-elles implacables, m’a dit Germaine.

Cette nuit, des pigeons voyageurs, une dizaine, ont été parachutés par la Royal Air Force. Chacun dans son baril entouré d’osier, avec deux petits tubes, du papier pelure, un crayon spécial, le mode d’emploi.
Certains sont blessés. Il faut les soigner, leur donner à boire.
Ils roucoulent. Chut.
Il y a aussi un chef à cacher pour un mois.
Ce sera chez les Delanoë.

Celle qu’Emma avait pressentie promise à un enrichissement infini était en route vers elle-même, presque rendue chez elle, au milieu de cette confrérie secrète de gens courageux, durs et frais, intraitables. Du côté des « terroristes », des insurgés, des ouvriers. Contre les puissances de soumission et de mort. Il devait néanmoins lui arriver, comme à Antigone aux yeux de violette, le soir, de penser à celle qui l’avait trahie, à sa soeur perdue, à la merveille de leur intimité, à leurs cheveux mêlés, et de trouver sa solitude aride. Et de prier ses morts.

Elles vivaient d’espoir, Un roman de Claudie Hunzinger, Editions Grasset, parution le 25 août 2010