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Trois filles dans un brasier par Jacques Lindecker

lundi 5 septembre 2016, par webmestre

L’Alsacienne Claudie Hunzinger est la fille d’Emma. Emma, entre les deux guerres, a eu deux amies, Thérèse et Marcelle. « L’Incandescente » fait revivre dans une langue magnifique la jeunesse de ce trio de femmes éperdues, en quête d’absolu. C’est à lire absolument !

1923-1929, « tout s’est joué en six ans seulement ». Un trio de jeunes femmes. Trois jeunes institutrices, trois âmes fortes. Emma, la mère de la romancière et plasticienne Claudie Hunzinger. Thérèse. Marcelle. Claudie Hunzinger nous avait déjà raconté, dans Elles vivaient d’espoir, le couple ébouriffant formé par Emma et Thérèse, un amour échevelé, interdit, l’apprentissage douloureux de l’émancipation. La quête d’absolu de Thérèse, qui le paiera de sa vie, capturée par les nazis, torturée à mort en octobre 1943 sans avoir donné les noms de son réseau de résistants. Et le curieux (inexpliqué ?) choix d’Emma, optant pour une vie rangée avec Marcel, un commerçant de Colmar, qui fera, quant à lui, d’autres choix, moins heureux, avec l’occupant allemand.

Mais Emma, « ce bloc de glace avec le soleil derrière », avait caché une autre « folie ». Claudie Hunzinger allait trouver « au fond d’une armoire […] un nombre impressionnant de liasses de lettres revêtues de chemises de couleur. » Les lettres de Marcelle à Emma. Marcelle avait écrit beaucoup. Sans cesse. Dans un style éblouissant (« Vous ne pouvez pas savoir, Emma, combien j’avais le vertige au parfum du mimosa, le vôtre, car vous étiez semblable au mimosa par votre grâce poudrée de blonde qui se laisse entraîner »). Emma, « l’amour de l’équilibre » ; Marcelle, « celui des excès ». Le double bras armé de la passion.

Le courage jeune

Marcelle se trouvait inachevée, mais elle n’appartenait à personne, « une échappée. Un franc-tireur. Une excentrique. Une qui puisait sa force dans son étrangeté ». Et ce qu’elle ressentait pour Emma était « palpitant, impatient de vie. […] L’énergie folle de l’amour en pure perte. La dépense. La fièvre. La guerre. La jeunesse. Et puis on devinait bien que ce n’était pas une petite violette des talus, mais une ultraviolette en puissance. Elle en avait la radicalité, le trop, la démesure, le courage jeune. La terreur. »

Qui, aujourd’hui, parle de l’amour, de cet engagement au-delà de la raison, mieux que Claudie Hunzinger ? Elle ne censure rien de la complexité, de la mesquinerie des petits emportements de ses héroïnes. Elle convoque, comme elle aime – et sait – le faire, la nature pour dire à quel point cet amour fut un univers, un ciel étoilé, une fraîcheur, un trésor. Elle parle de vipères, de gui, de muguet, de « parfums exquis d’herbe fanée dans lesquels on voudrait mourir. » Oui, c’est exquis.

Cette relation avait-elle un avenir ? Emma, qui se rend au chevet de Marcelle, gravement atteinte aux poumons, écrit dans ses carnets : « Avec elle je touche à mes extrêmes, joie et douleur à l’état pur. Toutes les forces de la vie sont en elle. Je me consume en l’approchant. » Un « amour insupportable » qu’Emma tentait de maîtriser « en s’armant d’études, en aimant Thérèse, en inventant pour elle le mot “tendresse” ». On en était arrivé au temps des reproches entre Emma et Marcelle. On en était à la fin. Fin de l’amour. Fin de Marcelle, bientôt « pauvre petit fantôme », emportée trop jeune par la maladie.

Claudie Hunzinger ne fait pas que recomposer le délicat reçu de ses « grandes sœurs ». Elle se glisse dans leurs traces (« Je tiens d’Emma que l’amour, tout amour, quel qu’il soit, n’est jamais une erreur ») et investit à son tour le terrain de la morale : « Il ne faut pas voir la vie plus sombrement qu’une promenade qui n’est plus rien quand elle s’achève et qui fut pourtant un réel enchaînement de merveilles. » Qu’on se le répète chaque jour quand tant de voix tentent de fondre nos existences dans un gris couleur peur…