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La Survivance dans "Territoires de fiction" de Michel Chantrein

Claudie Hunzinger, Bambois quarante ans après

mercredi 10 octobre 2012, par webmestre

La Survivance, le dernier roman de Claudie Hunzinger, c’est un peu comme la construction de l’hypothèse de l’échec : et si la vie ne s’était pas passée comme ça, et si on avait dû renoncer au rêve des jeunes années, et si ... Quarante ans après, Claudie Hunzinger revisite son projet, l’épure, le gratte jusqu’à l’os. Ce n’est donc plus le récit enthousiaste de Bambois, celui du jeune couple épris de nature, fou de littérature et de beauté. Les héros de La Survivance, Sils (comme Sils-Maria) et Jenny (comme La Fiancée du Pirate), sont au bout du rouleau. Ils sont déjà à la marge, celle de la péri urbanité. Libraires de livres d’occasion dans un village du vignoble alsacien, ils survivent grâce aux touristes et aux bobos curieux de belles reliures et d’éditions princeps. La banque siffle la fin de partie, la vente en ligne de livres d’occasion a eu leur peau, d’autant plus qu’ils avaient poussé l’outrecuidance à ne pas s’associer. Claudie Hunzinger campe des personnages au bord du gouffre, mis à la porte de leur maison, sans emploi, ni ressources et plus tout jeunes. Elle les saisit là, à cet instant précis de leur existence, et leur fait vivre l’Odyssée qu’elle a elle-même vécue avec son mari il y a quarante ans, plus comme explorateurs cette fois, mais comme naufragés. Sils et Jenny n’ont plus rien, sinon leur ânesse, leur chienne, leurs cartons de livres et … une ruine de maison dans les Vosges à mille mètres d’altitude, La Survivance. C’est là qu’ils atterrissent.

Claudie Hunzinger, écrivaine de longue date mais romancière tardive nous offre avec La Survivance une méditation eckartienne sur le détachement dans ce temps présent, venant après Elles vivaient d’espoir (2010), son premier roman, enquête sans concession inspirée des amours de jeunesse de sa mère. L’auteur nous est connue pour un livre culte Bambois, la vie verte publié en 1973, récit d’une expérience de vie dans la nature, singulière, précieuse, influencée par le souvenir des rencontres du Cantadour de Jean Giono. Entre temps, Claudie Hunzinger a fait œuvre de plasticienne, toute une trajectoire ponctuée d’expositions et d’écrits sur l’art. Elle s’inscrit d’emblée dans la lignée des auteurs qui captivent, je pense aux reportages d’Albert Londres et aux romans de Selma Lagerlöf. On ne lâche pas comme ça un livre de Claudie Hunzinger et longtemps après l’avoir fermé, les impressions persistent.

« Avanie sagement attendait son tour. Elle savait qu’il viendrait, même si depuis deux jours, nous chargions la voiture et repartions sans elle. On ne s’est pas creusé la tête pour savoir comment la transporter. Nous ferions le voyage à pied, le dimanche 1er mai. C’était possible. Il suffisait de suivre les plis du massif, pas même une nationale à traverser. J’ai étalé trois cartes IGN côte à côte et surligné en rose vif notre chemin. Le matin nous avons rendu les clés. Sils est parti en voiture. Et nous de notre côté, Avanie, Betty et moi.
A peine en route, tout de la plaine m’apparut vite lointain, derrière moi. Fini, c’était fini.
Quelque chose s’est mis en branle. L’inconnu, je crois. Dès le départ, il était tapi dans le chemin creux qui s’éloignait du village pour entrer dans la forêt, et il nous a accompagnées, nous a escortées de son énergie, de son mystère, de son désir. On a marché tout un jour de grand soleil, à l’ombre, le long d’un seul tunnel de verdure qui nous rendait invisibles aux yeux des humains comme au radar des satellites. Clandestins, discrets, on se glissait, on se faufilait. »

La Survivance est un texte qui entrecroise et cite Bambois. Mais c’est un Bambois fictionnel, avec de vraies fausses citations. La Survivance est un peu le roman de Bambois, si on veut bien considérer que Bambois était un récit encore optimiste des Trente Glorieuses in extremis et La Survivance, un roman de l’approfondissement de la crise qui laisse ses héros au bord du chemin. Pourtant les dits héros ne sont pas fatigués, ils vont faire encore mieux, encore plus fort que les petits jeunes de 1973. Plus haut, plus rude, plus démunis. Bambois ramenait ses couleurs des plantes et des lichens, La Survivance ira les chercher au plus profond, jusqu’au cœur des pierres.

Il y a de la dystopie dans La Survivance, l’incendie couve, l’Unterlinden prend feu, le retable d’Issenheim est détruit. On pense bien sûr à Fahrenheit. Sils est un homme retable comme d’autres ont été hommes livres. La plasticienne se souvient de ses Bibliothèques en cendre. Après la menace qui pèse sur les livres, ce sont les œuvres des Maîtres anciens qui disparaissent. La Survivance, cette ruine dans la montagne, devient îlot de résistance où un homme et une femme fomentent le retour des êtres humains.
L’intrigue du roman serait née d’une étrange rencontre entre l’auteur et une librairie messine, adepte de vitrine de lecteur. C’est que Claudie Hunzinger cultive les hasards, les résonnances, les associations comme, nous l’explique-t-elle, Aby Warburg classait ses livres dans sa bibliothèque de rêve. Il y avait là Les Emigrants de W.G. Sebald, Une année à la campagne de Sue Hubbell, L’Etranger sur l’Aubrac de Nicole Lombard, Scène de la vie d’un faune d’Arno Schmidt, Selma Lagerlöf, etc. Le charme prégnant du texte nous vient de ses livres tirés des cartons, fragiles mais au combien efficaces, magie de philtres et de phylactères. Ceux qui ont entendu Claudie Hunzinger ne doutent pas de leur puissance d’évocation, mots, phrases, encre et papier.

Qu’on ne s’y trompe pas, le prisme de la néo ruralité ne convient pas à la lecture de La Survivance, ni l’écologie, ni l’alter mondialisme, ni même le Giono du Cantadour. Il n’y a sans doute pas de prisme, l’écriture et l’inspiration de Claudie Hunzinger se nourrissent de sa vie, de la littérature et de la familiarité avec les œuvres. La nature dont il est question est nettement dionysiaque. Le Grand Pan court sur le Donon et le Brézouard et il est cousin du dieu cornu Cernunnos.
On ne sera pas surpris que Jenny rencontre les cerfs, les vrais aborigènes des grands bois. Elle y met la distance du sacré, pas de proximité excessive, pas de vaines et ridicules tentatives d’apprivoisement. Simplement, il s’agit de vivre avec les cerfs, comme les trappeurs avec les indiens, avant que ça dégénère. Les cerfs sont les mâles qui forment clan après séparation de la harde. Jenny les étudie, principalement leurs relations intra claniques, surtout celles des électrons libres, qu’elle appelle les réfractaires, qui vivent de leur côté. Et, au dessus de tous, le grand cerf solitaire, détaché de la compétition génésique, le grand célibataire.

La mélancolie, comment n’y pas songer au moment de conclure. Celle de Cranach au musée de l’Unterlinden à Colmar, interprétée dans le roman mais aussi celle qui pare le texte de ses couleurs automnales car c’est une mélancolie fastueuse, toute de rousseur et de teintes chaudes. L’hypothèse de l’échec a été menée à son terme, elle a permis le détachement des entraves du nevermore et du superflu, elle a surtout permis de réenchanter l’existence, celle de l’auteur et la nôtre.

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