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« Il neige sur le pianiste » de Claudie Hunzinger : une parenthèse enchantée (L’Humanité)

lundi 7 octobre 2024, par webmestre

Une romancière séquestre un pianiste et le regarde dormir. Lauréate du prix Femina en 2022 pour Un chien à ma table, l’écrivaine de la nature entame un dialogue fécond avec la musique.

On aurait pu croire, à la lecture des dernières lignes mélancoliques d’Un chien à ma table, que ce roman serait le dernier. En tout cas l’ultime variation sur Bambois, le hameau des Vosges alsaciennes où Claudie Hunzinger s’est installée à la fin des années 1960 avec son mari Francis.

C’était compter sans l’extraordinaire vitalité de la romancière, sa capacité à inventer des formes nouvelles, à approtondir inlassablement son dialogue sensible et sensuel avec la nature et les autres vivants. Adossé au Iristram Shandy de Laurence Sterne, roman de toutes les folies, de la joie et de l’excès, Il neige sur le pianiste s’ouvre sur la rencontre de la narratrice avec un visiteur du soir.

Un jeune renard malade qui, à la nuit tombée, se montre sur la terrasse.
Précautionneusement, elle le nourrit comme un invité de marque, déposant dans sa plus précieuse vaisselle des aiguillettes de poulet ou un antibiotique dilué dans du porridge sucré. Créature sauvage et personnage de roman par excellence (le Roman de Renart), le jeune goupil va tracer autour de la maison un cercle magique, cadre d’une fiction qui ne l’est pas moins.

Pendant dix jours et dix nuits, la romancière « 100 % torêt » séquestre un célèbre pianiste « 100% citadin », rencontré par une amie commune. À la faveur de la neige qui tombe à gros flocons, la maison se transtorme en prison ouatée où le pianiste s’approprie le vieux Steinway pour son corps-à-corps quotidien avec la musique. Mais, la nuit venue, la romancière force un peu la dose de somnitère que lui a réclamé le musicien, le plonge dans un profond sommeil et le regarde dormir.

Déviant des chemins balisés, Claudie Hunzinger tourne le dos à une histoire d’amour impossible entre une femme vieillissante et un homme jeune pour questionner le mystère de la musique et la physicalité cachée derrière les œuvres, fussent-elles aussi parfaites que le Clavier bien tempéré, de Bach.

Ce faisant, c’est aussi sa propre pratique de l’écriture qu’interroge la romancière narratrice, qui tente de saisir par des onomatopées le son du vent et de la neige qui tombe, gèle ou cristallise. À rebours des fables où l’humain apprivoise l’animal, l’écrivaine l’écrivaine floute un peu plus les frontières avec le monde sauvage pour s’émanciper de son espèce.

Sophie Joubert

La parenthèse enchantée de Claudie Hunzinger (l’Humanité)